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La collectionneuse

Mes séries sont comme des collections. Je collectionne les bancs, les devantures, les manèges. C'est excitant de chercher l'un de ces objets. Mon oeil est toujours attiré de façon compulsive vers l'un ou l'autre. Lorsque je le repère, je le regarde, je lui tourne autour, je fais la photo. Et puis je le recadre, je m'invente une histoire qui deviendra la sienne. Saisir l'émotion de l'instant pour perdre le sentiment du temps présent...

Les bancs font partie de notre paysage urbain ou rural. On finit par ne plus les voir. Et pourtant…

Le banc est un lieu de rendez-vous. On s’y retrouve pour faire la causette, se donner des nouvelles de la famille, partager les joies et soucis du quotidien, organiser un apéritif de dernière minute. On y attend son amoureux ou amoureuse, on l’y embrasse pour la première fois, on s’y dit au-revoir pour la dernière fois.

Le banc est un lieu de ressourcement. On y laisser flâner ses pensées, on s’y repose pour respirer. On y rêve d’un monde meilleur, on se souvient de ce beau soir de juillet qui sentait si bon l’été, on y pleure son amour perdu. On y lit son livre qu’on ne peut plus lâcher, on y écrit quelques lignes dans son carnet préféré.

Le banc est un lieu de complicité. On y retrouve sa copine, son copain, on regarde passer les gens, on admire, on se moque, on aimerait tellement ressembler à celle-ci ou celui-là. On y refait le monde, on échafaude des plans pour la prochaine soirée.

Le banc est une petite maison réduite à une planche de bois. On y mange, on y dort et on y boit. On y change rapidement le bébé, on y nettoie le bobo de la chute de vélo. C’est là aussi que l’on vit emmailloté dans son sac de couchage, un paquet pour oreiller qui raconte toute sa vie.

Le banc est bien plus qu’un mobilier urbain : on y mange, on y dort, on y rit, on y pleure, on y s’aime, on y vit et l’on peut même y mourir.

Les manèges ont le goût de l’enfance et de la barbe à papa. Ils sont colorés. Ils font éclater la joie et tourner la tête. 

Le premier tour de manège de son enfant… Un souvenir gravé dans le coeur. S’il est trop petit, on monte avec lui pour lui tenir la main et l’empêcher de tomber. S’il est plus grand, on l’installe avec précaution sur son cheval qui monte et qui descend. Ou bien préfère-t-il l’avion et son bouton magique qui l’envoie dans les airs. Puis on s’installe sur le bord, attention au départ. On le suit du regard, on lui sourit, on lui fait un coucou de la main. Comme il est fier sur destrier. Il essaie d’attraper la queue du Mickey pour avoir un tour gratuit. La musique des tubes des années 80 passe en boucle. On se surprend à danser sous les sunlights des tropiques, ben oui, l’amour se raconte en musique. Ca y est, le tour est terminé. On récupère l’enfant qui en veut encore et encore. On lui donne son goûter et on rentre à la maison pour regarder ensemble les jolies photos souvenir. 

Les devantures de magasin sont emplies à la fois de mystère, de nostalgie, d’imagination, mais aussi de vie. Elles protègent chacune un petit monde unique et précieux.

Que se cache-t-il derrière une devanture ? Que disent de l’évolution de la société ces anciennes publicités colorées ? Quels potins peuvent bien se raconter derrière la porte de cette boucherie ? Qui est cette couturière qui pique les vêtements comme on recoud la vie de ses propriétaires ? Les petits commerces sont des lieux essentiels aux liens de la vie. On s’y livre les petits et grand tracas du quotidien alors qu’on achète son pain. On s’y confie ce qui pèse sur le coeur en partageant un verre. On y prend le temps de prendre des nouvelles, de rire d’un gentil mauvais tour et de s’inquiéter du temps qui passe ou qu'il fait. Ils sont le reflet de l’époque, on y refait le monde avec des gens qu’on ne croise qu’ici. 

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